terça-feira, 18 de setembro de 2007

"Le poison."

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,

Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L'opium agrandit ce qui nà pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,

Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,

Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort !




"Une charogne"


Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,


Ce beau matin d'été si doux :


Au détour d'un sentier une charogne infâme


Sur un lit semé de cailloux,





Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,


Brûlante et suant les poisons,


Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique


Son ventre plein d'exhalaisons.





Le soleil rayonnait sur cette pourriture,


Comme afin de la cuire à point,


Et de rendre au centuple à la grande nature


Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;





Et le ciel regardait la carcasse superbe


Comme une fleur s'épanouir.


La puanteur était si forte, que sur l'herbe


Vous crûtes vous évanouir.





Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,


D'où sortaient de noirs bataillons


De larves, qui coulaient comme un épais liquide


Le long de ces vivants haillons.





Tout cela descendait, montait comme une vague,


Ou s'élançait en pétillant ;


On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,


Vivait en se multipliant.





Et ce monde rendait une étrange musique,


Comme l'eau courante et le vent,


Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique


Agite et tourne dans son van.





Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,


Une ébauche lente à venir,


Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève


Seulement par le souvenir.





Derrière les rochers une chienne inquiète


Nous regardait d'un oeil fâché,


Épiant le moment de reprendre au squelette


Le morceau qu'elle avait lâché.





Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,


A cette horrible infection,


Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,


Vous, mon ange et ma passion !





Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces,


Après les derniers sacrements,


Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses.


Moisir parmi les ossements.





Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine


Qui vous mangera de baisers,


Que j'ai gardé la forme et l'essence divine


De mes amours décomposés !



Charles BAUDELAIRE

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